J'ignore Céline
Par Maurice Szafran
 
 
 

Est-il seulement convenable de reconnaître pareille aberration dès lors qu'on prétend diriger un hebdomadaire culturel ? Je n'ai jamais lu Céline. Ici même (lire ci contre Il faut regarder la saloperie en face), Bernard-Henri Lévy réaffirme à quel point la littérature de ce siècle tourne autour de l'astre Céline, que son oeuvre - la sublime et l'abjecte - forme un tout indissociable, à prendre et à combattre, mais non pas à laisser. Je laisse, pour toujours.

La référence à Jankélévitch, tellement (trop) évidente. Ne plus lire la philosophie de Heidegger; ne pas écouter la musique de Wagner: tel fut son choix, assumé et à peine explicité, aberrant pour la plupart des intelligents et des cultivés. Dès l'adolescence, l'éthique de Jankélévitch s'imposa à moi. Petit Français et fou de littérature, je serais donc amputé de Céline et de quelques autres, Drieu par exemple, ce héros des branchés de l'après guerre, toutes générations confondues. Drieu est-il un écrivain surfait? Question de cours obligatoire dans toute conversation littéraire digne de ce nom. Sais pas. Jamais feuilleté. Comment l'écrire sans forcer le trait? L'idée même d'ouvrir un roman de Céline ou de Drieu me fait horreur. L'ordure a du talent? Et après. J'ai plutôt envie de m'intéresser au très catholique François Mauriac, à sa passion bordelaise et gaulliste, à ses interrogations sur la grâce du Christ. Il ne dispose de la folie créatrice d'un Céline? Peut-être, mais il n'a jamais non plus souhaité que les enfants juifs soient gazés à Auschwitz. Je me contenterai donc de Mauriac. On me dira que le génie littéraire emporte tout sur son passage dévastateur. Je n'en crois pas un mot. Céline était un génial romancier - on me l'explique depuis quarante-cinq ans - et une immense ordure. Ramené à l'affaire qui nous préoccupe aujourd'hui, je constaterai que Renaud Camus est un besogneux de la plume et une petite frappe antisémite.

Que les éditions Fayard choisissent d'éditer Renaud Camus, qu'importe. Pour mon compte, je me contenterai d'ignorer ce Céline du (très) pauvre.
 

Maurice Szafran